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BURKINA FASO : synthèse de la conférence sur l’écosocialisme de Sankara

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 « Je ne suis ici que l’humble porte-parole d’un peuple qui refuse de se regarder mourir pour avoir regardé passivement mourir son environnement naturel. Depuis le 4 Août 1983 l’eau, l’arbre et la vie pour ne pas dire la survie sont des données fondamentales et sacrées de toute l’action du CNR qui dirige le Burkina Faso » Thomas Sankara

« La lutte contre la dégradation de l’environnement est aussi une lutte anti-impérialiste »  Thomas Sankara

Cette conférence se situe dans la perspective des assises sur l’écososcialisme que le PG souhaite organiser en 2021 et se veut à travers un retour d’expérience, une contribution à la réflexion et à l’approfondissement des thèses écosocialistes portées par le PG depuis quelques années.

Oris Bonhoulou et moi-même remercions chaleureusement Bruno Jaffré grand connaisseur du Burkina et biographe de Sankara, dont on trouvera la bibliographie à la fin de cet article, et Mahamady Ouedraogo doctorant à Clermont Ferrand a écrit sur la question environnementale sous le régime de Sankara.

Il nous semble que le mot écosocialisme ne s’entend pas forcément de la même manière selon les continents et selon le niveau de développement atteint. Il est bien connu en Europe et en Amérique latine mais concernant l’Afrique, il ne semble pas que la notion soit très répandue et elle nécessite donc d’être travaillée ; ce que nous nous efforçons de faire avec nos amis de l’AFPA Alliance des Forces Progressistes pour l’Afrique.

Le mieux est donc de partir des expériences qui ont été tentées en Afrique jusqu’ici et il nous a semblé à Oris Bonhoulou et à moi-même que l’expérience du Burkina Faso de Thomas Sankara dans les années 80 mérite d’être analysée.

Je tiens à préciser que le qualificatif d’écosocialiste que j’applique à cette révolution relève de mon appréciation et que le terme n’a pas été utilisé à l’époque de Sankara.

Cette expérience nous intéresse parce qu’elle nous montre comment une lutte révolutionnaire permet la mise en œuvre intégrale d’une agro-écologie sur le mode cubain, c’est-à-dire par une mobilisation planifiée des forces productives nationales : le système éducatif, les capacités de motivation populaire, l’implication des femmes et des jeunes sont à la base de ce succès.

Il s’agissait avant tout de protéger et de régénérer  un environnement sérieusement dégradé par la présence coloniale : déforestation massive, érosion des sols et dégâts causés par l’élevage intensif. Mais aussi et surtout de lutter contre la désertification.

Dans un pays sans classe ouvrière, comment associer et impliquer les paysans qui ne sont pas spontanément une classe révolutionnaire ? En s’appuyant sur une partie de la petite bourgeoisie intellectuelle (tradition marxiste forte, syndicats structurés) et en s’attaquant aux traditions. Car s’attaquer aux traditions (non pas pour les détruire mais pour leur enlever leur caractère statique et leur inertie) est le seul moyen de libérer les énergies au sens de les rendre disponibles, des jeunes et des femmes pour la révolution. Sankara promeut l’homme nouveau car le révolutionnaire doit selon lui donner toute sa vie à 100% pour la révolution, ce qui sera une des causes de sa chute car beaucoup de cadres ne le suivront pas sur ce terrain (en particulier quand l’Etat prélèvera 10% sur leur salaire).  Sankara a le sens de la communication et il désacralise les atouts du pouvoir (voiture, logement, cérémoniels…).

Il n’y a pas de grands domaines latifundiaires au Burkina, la situation de la paysannerie n’a donc rien de comparable avec ce qui se passe en Amérique Latine. La terre est ici gérée collectivement par le conseil des anciens du village ; le problème est donc de sortir de la pauvreté et de satisfaire les besoins. Deux solutions : redistribuer les richesses des villes vers les campagnes et transformer les matières premières sur place (les femmes tisseront le coton pour produire le faso dan fani que les hommes porteront plutôt que des tissus importés). Le tout dans un contexte de lutte contre la corruption.

Les Comités de Défense de la Révolution (CDR) sont certes des milices locales mais leur rôle ne s’arrête pas à la sécurité : organisation et vie des quartiers, cours de formation, diffusion de la production locale, discussion du budget aux différents niveaux.

Le Plan Populaire de Développement est aussi un élément important dans la révolution : il s’agit de faire remonter les besoins ; il servira de base à l’élaboration du plan quinquennal qui malheureusement n’aura pas le temps de se mettre en œuvre.

Les chantiers sont nombreux : constructions de logements sociaux en nombre (les immeubles Sankara 1, Sankara 2 … à Ouagadougou) éducation mise au service du développement du pays(les étudiants doivent faire une année de production agricole ou artisanale avent d’entamer leurs études) réforme agraire,  justice de qualité avec le retour au pays de fonctionnaires internationaux dispersés, santé restructurée selon le modèle pyramidal de l’OMS.

Le programme politique se fondait sur plusieurs mesures d’urgence prises au début de la révolution burkinabé :

1 campagne des trois luttes (contre le déboisement, contre les feux de brousse, contre la divagation des animaux d’élevage)

2 campagne éducative dans les écoles pour la sensibilisation des élèves à la cause de l’environnement

3 généralisation de foyers améliorés pour moins consommer de charbon de bois

4 récoltes populaires de semences forestières

5 instaurations systématiques de pépinières villageoises

6 l’eau : création d’un ministère de l’eau, création de micro barrages, extension de la  technique traditionnelle du zaï développée dans le Sahel pour améliorer la capacité de rétention de l’eau des sols, condition nécessaire pour contenir l’avancée du désert et pour assurer une production agricole suffisante.

Mais Thomas Sankara ne voulait pas s’en tenir là et il se consacra à un projet transnational en partenariat avec d’autres pays du Sahel : la grande ceinture verte. Celle-ci par son ampleur (même si elle n’a pas été menée jusqu’au bout), son caractère volontariste, son côté panafricain nous intéresse aussi fortement au sens où nous pensons que seul un développement  concerté au niveau sous-régional en Afrique a une chance de déboucher.

Sankara est internationaliste : il tient des discours sur l’indépendance du Sahara Occidental et de la Nouvelle Calédonie ; il refuse de signer les accords du FMI ; il entretient des relations avec les pays progressistes.

Pour Sankara, l’urgence environnementale et la responsabilité humaine vont de pair. D’où l’importance des mesures symboliques prises par le régime : il est proposé à chaque étranger de planter un arbre contre l’obtention d’une carte de séjour, chaque nouveau couple se voit doté d’un arbre et d’un foyer amélioré, l’accès aux logements sociaux est conditionné à l’engagement de planter un arbre. Sankara insiste sur cette prise de conscience politique allant jusqu’à parler de crime contre les générations futures dans le cas où rien ne serait fait. Il insiste sur la primauté des dynamiques endogènes qui ne doivent en aucun cas dépendre de volontés extérieures (institutions internationales par exemple). La grande contribution de Sankara dans sa lutte sociale et environnementale,  ce que nous voulons bien désigner sous le terme d’écosocialisme, c’est l’action nationale sans ingérence extérieure et sans être « motivé » par les financements des bailleurs de fonds internationaux.

 

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Que reste-t-il de Sankara à notre époque ?

La situation environnementale et démographique a changé avec : une désertification qui n’a fait que progresser face à l’adversité climatique, la zone de climat soudanien (le plus favorable) ayant diminué quasiment de moitié en 30 ans ; une population qui a doublé en 25 ans passant de 7 millions d’habitants à l’époque de Sankara à 20 millions de nos jours.

Mais l’esprit de Sankara est partout présent surtout chez les jeunes générations ; nous en voulons pour preuve le débat sur la forêt de Kouan à Bobo-Dioulasso où un hôpital devait être construit mais c’était sans compter sans l’opposition forte de la population.

Yacouba Sawadogo a été récompensé de ses efforts de plantation d’arbres et de développement de la technique traditionnelles du zaï par le prix Nobel alternatif en 2018.

Sankara a définitivement mis son empreinte sur l’esprit des burkinabés en liant urgence environnementale et responsabilité humaine.

Rappelons enfin que demeure malgré tout la tradition africaine du bois sacré même si elle a été mise à mal par la modernité ; ces bois sacrés étaient et sont toujours lorsqu’ils subsistent, préservés de la chasse et de la culture, dans les familles un des interdits portait sur tel ou tel type d’arbre que l’on ne devait pas abattre. Le combat pour l’environnement en Afrique ne repose donc pas sur rien mais sur une tradition bien ancrée qui ne demande qu’à être renouvelée ce qu’a essayé de faire Sankara.

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La conférence est disponible sur Youtube.

Nous n’en resterons pas là ; d’autres expériences pourront être évoquées je pense en particulier à la politique menée par le président Gbagbo en Côte d’Ivoire : seraient alors évoquées en plus des questions agricoles et d’accaparement des terres, les dégâts industriels et les pollutions importées,  souvenons nous de Trafigura à Abidjan. Nous pourrons aussi évoquer l’exploitation des forêts et des minerais  en Afrique Centrale et des tentatives pour la contrecarrer. Mais aussi évoquer les luttes environnementales menées par des ONG à Madagascar.

 

 

 

 

 

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