NIGER : conférence du samedi 19 octobre 2019
Thème : L’état de la démocratie au Niger au-delà du décorum
discours d’ouverture par Pierre Boutry au nom du Parti de Gauche et de l’AFPA
Bienvenue à tou(te)s, aux camarades du parti nigérien MPN et à son président Ibrahim Yacouba maître d’œuvre de cette conférence, aux camarades de l’AFPA.
L’AFPA n’est pas une alliance de partis frères selon l’idéologie mais de partis et de mouvements qui veulent agir pour l’émancipation des peuples africains.
La première conférence de ce genre a traité de la RCI et s’est prolongée par une réunion de l’EDS à l’Assemblée Nationale pour marquer le retour de cette opposition de gauche enfin regroupée et poser un certain nombre d’exigences politiques en vue de la prochaine élection présidentielle.
La deuxième conférence était consacrée à la RDC qui connaît une période d’instabilité politique après avoir innové au niveau du processus électoral en inventant le glissement permanent ou l’élection sans vote. Elle n’a pas été suivie d’une réunion à l’Assemblée Nationale faute d’accord entre les différentes oppositions congolaises quant à la stratégie à suivre.
Cette troisième conférence est donc consacrée au Niger avec en perspective des élections présidentielles et législatives de décembre 2020.
Vous savez qu’il existe différents types d’élection en Afrique selon l’intrigue utilisée pour raconter l’histoire :
• le retour du phénix (Sassou, parti fort et homme fort, perd les élections puis revient au pouvoir 5 ans après)
• les constructions dynastiques : les Bongo, les Gnassingbé
• les zombies au pouvoir : Biya, Bouteflika
• les empires et royautés où l’histoire longue se rejoue en permanence Ethiopie, Madagascar, Swaziland
• le vote sans élection : Ping au Gabon
• l’élection sans vote, les glissements progressifs entre dynasties : la dynastie Kabila, la dynastie Tsishekedi, la dynastie Bemba ; avec pour résultat un élu qui n’est pas celui pour lequel le peuple a voté !
• et enfin la règle de la majorité : Sénégal, Benin, Afrique du sud, Nigéria et dorénavant le Niger dans la mesure où la président sortant a annoncé publiquement renoncer à un troisième mandat contrairement à certains de ses pairs.
Cette élection se situe dans un contexte régional et national difficile pour plusieurs raisons :
1 l’insécurité liée aux actions terroristes djihadistes à la fois dans le nord ouest du pays en zone sahélienne et dans le sud est dans la zone du lac Tchad ; avec d’ailleurs deux types de réponses : forte présence militaire étrangère en zone sahélienne et relative discrétion sinon absence dans l’autre zone, ce déséquilibre méritant d’être expliqué
2 la question démographique qui préoccupe tellement le président Macron : il est vrai que le Niger a un taux de fécondité plus élevé que d’autres pays africains dans un contexte où les évolutions environnementales ne sont pas favorables : mais n’est ce pas plutôt une question de développement correctement agencé ?
3 les industries extractives et particulièrement au Niger l’uranium : abandon du projet de mine nouvelle sur le site d’Imamouren, diminution de l’activité sur les sites anciens ; si l’on ajoute à cela la pollution et le pompage de l’eau du sous-sol cela donne une situation sanitaire que je ne suis pas sûr de savoir qualifier mais en tous cas préoccupante pour les populations concernées ; des atteintes à l’environnement qui ne concernent pas que l’uranium puisqu’on apprend qu’une partie de la réserve naturelle de Termit et Tin-Toumma, située dans le nord-est du Niger, va être déclassifiée pour permettre le développement d’un projet pétrolier chinois. Comment un gouvernement nigérien progressiste peut il traiter cette grave question ?
4 un processus électoral qui reste à améliorer avec une CENI dont la composition est contestée et un nouveau code électoral tout aussi contestable ; un ancien président de l’Assemblée et leader du parti d’opposition le Moden Fa Lumana, Hama Amadou, déchu de la présidence de son parti ; des gros commerçants qui « tiennent » financièrement les partis politiques et les manipulent pour leurs intérêts personnels et non pas pour le bien commun.
Nous sommes donc face à un paradoxe : la possibilité théorique d’une élection démocratique dans un pays où les coups d’Etat militaires furent nombreux et en même temps un processus électoral modifié par le pouvoir en place dans un pays quasiment mis sous tutelle par ledit pouvoir. Le président Ibrahim Yacouba nous expliquera comment il compte surmonter ce paradoxe.
Et puis quand je pense au Niger je pense à Sarraounia, la reine magicienne célébrée par l’écrivain et homme politique Abdoulaye Mamani, une reine devenue un symbole national mais aussi panafricain de la lutte contre les envahisseurs coloniaux contre la colonne maudite Voulet Chanoine ; mais aussi symbole d’un socialisme africain ouvert aux autres, à ceux qui ne sont pas de la même ethnie ou de la même religion. Je me dis que pour que le talaka l’homme du peuple retrouve sa dignité, il est urgent qu’elle se réincarne en esprit dans une force politique constituée d’opposants rassemblés et déterminés ayant pour objectif l’émancipation de la femme et de l’homme nigérien.
Pierre Boutry
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Discours de Monsieur le ministre IbrahimYacouba, président du parti MPN Kiishin Kassa
Je suis très heureux de parler de la situation politique de mon pays. Le Niger est un pays instable, je n’apprends rien à personne. C’est connu Nous sommes à la VIIème République et la plupart des Républiques sont liés à des changements violents du pouvoir. Quand on fait exception de la première et le deuxième République qui est née après la mort de Sény Kountché, puis la troisième République qui est née après la conférence nationale, les changements de régimes sont liés à des Coups d’État. C’est un pays particulièrement instable, qui a la particularité d’avoir des institutions faibles, et le projet c’est de croire que la démocratie va nous permettre de mettre en place un système fort qui va réaliser la promesse de la liberté comme on dit aux gens.
Vous avez évoqué que le président de la République a annoncé qu’il ne se représentera pas. De toute façon c’est la constitution qui le dit. La Constitution ne permet pas à ce qu’on puisse se présenter au-delà des deux mandats. Il a donc réaffirmé son attachement à ces principes. L’enjeu c’est comment on consolide la démocratie dans ce contexte là. La Constitution du pays l’interdit, et l’histoire du Niger aussi l’interdit. Les Hommes sont des gens lucides qui tirent les leçons de ce qui s’est passé au Niger. Et il est admis dans la tête et l’esprit des Nigériens que personne ne peut s’aventurer à envisager de se présenter pour un troisième mandat, en tout cas l’histoire nous le déconseille.
Ce que nous sommes en train de construire au Niger, c’est comment à partir de ce tournant là, à partir de la réalisation possible de la première alternance démocratique, nous allons réaliser un processus électoral vertueux.
Au Niger, nous avons une tradition, c’est la tradition du consensus électoral depuis la conférence nationale, l’ensemble des lois ont été faites par le consensus. Jamais sous aucun régime un parti au pouvoir ou un groupe de parti n’a eu la possibilité de confectionner tout seul les lois électorales. Au Niger, nous avons produit toujours le consensus. Et le consensus ne s’est pas fait au niveau de l’Assemblée mais plutôt en dehors de l’Assemblée. C’est au niveau du conseil national du dialogue politique qui réunit l’ensemble des partis politique et c’est dans ce cadre là que les partis s’entendent pour élaborer les lois qui permettent d’avoir le consensus pour aller aux élections.
Le premier défi ou la première faiblesse c’est le manque de confiance aux gouvernements qui sont en place dans leur capacité à organiser les élections. D’ailleurs, la plupart des gouvernements le disent, on n’organise pas les élections pour les perdre. Donc le contexte c’est de dire que les élections ne sont pas un exercice souverain du peuple pour changer ceux qui le dirigent ou pour les reconduire, mais elles sont uniquement envisagées comme un élément de survie et de conservation du pouvoir.
Et au Niger nous en sommes là, nous sommes actuellement dans cette phase ou le régime en place est dans une logique de conservation du pouvoir. On envisage pas les élections pour qu’elles soient l’expression libre des opinions ou des votes mais plutôt, parce que le président ne se présente pas, l’expression de l’envie de garder le pouvoir et de le maintenir par un autre qui sera issu du même cénacle. Donc on a mis en place un certain nombre de comportements qui sont nouveaux au Niger. Le comportement qui est nouveau au Niger, c’est le manque de discussion. C’est le manque de dialogue. Je l’ai dit : sur toutes les 30 dernières années, toutes les lois électorales sans exception , même sous les régimes militaires ont été élaborée par l’ensemble de la classe politique et notamment par les partis qui étaient dans l’opposition parce qu’il n’ont pas de capacité à l’Assemblée, ils n’ont pas de représentation suffisantes à l’Assemblée. C’est donc à extérieur que le consensus s’est fait. Même sous le régime Barré c’est l’entremise d’un médiateur, du parti socialiste qu’un accord important a été fait sur des points précis.
Donc cette tradition là au Niger elle a disparu. Nous sommes à l’opposition depuis 2 ans et nous avions participé à un seul CNDP ; Dans l’esprit du régime en place, c’est de faire en sorte qu’un CNDP qu’il ne se tienne pas, ou qu’il n’ait pas un contenu véritable. Parce que l’idée c’est de dire que le rapport de force se construit essentiellement et uniquement à l’Assemblée nationale et que cela est suffisant. C’est vrai, dans la gestion du pouvoir, on peut l’envisager. Mais en matière politique, jamais aucun régime n’a produit une loi électorale tout seul à l’Assemblée. C’est toujours à l’extérieur que c’est conçu, formé avant d’être adopté à l’assemblée. Donc nous n’avons pas eu de discussion sur le code électoral, la loi électorale.
Et nous, nous étions au pouvoir avec le gouvernement en place en avril 2018 ; mais lorsque cette loi avant même qu’elle ne soit un projet ; nous étions les premiers à nous opposer , nous avions écrit au Premier ministre dans sa fonction de président du CNDP , pour dire que nous attirons son attention sur ce qui risque de se passer, pour dire que la loi électorale telle qu’elle est proposée comporte de nouvelles dispositions qui sont dangereuses pour notre démocratie. En Europe , vous n’avez pas ce problème là parce que c’est même les ministères de l’Administration qui organisent ces élections. En Afrique, nous n’avons pas confiance à un gouvernement sur sa partialité, sa neutralité, pour être capable d’organiser des élections. Donc partout en Afrique francophone, il est imaginé des commissions qui sont mises en place dans lesquels les partis sont inclus et lorsque ces partis sont inclus, ils pensent qu’ils sont suffisamment représentés pour faire confiance à l’organe. Or la nouvelle composition de la CENI est une composition particulière qui prévoit la conception majorité-opposition. Et nous avons dit au premier ministre que cette conception n’a pas de sens. Elle a un sens dans la gestion du pouvoir mais lorsqu’on va aux élections, ce n’est pas la majorité qui va aux élections, ce n’est pas l’opposition qui va aux élections, ce sont des partis individuellement représentés.
La preuve même aujourd’hui au sein de la majorité il y a déjà deux candidats déclaré pour les élections et au niveau de l’opposition il y a déjà deux candidats. Peut être qu’il y en aura plus. Donc l’idée c’est de dire qu’il faut représenter qu’il faut préserver la représentation telle que nous l’avons depuis 1993, chaque fois qu’un parti est crée il devenait automatiquement membre de la CENI ; nous avons dit que si cela pose problème, on définirait d’autres critères, mais pas de critères de ce type là qui permettent au pouvoir en place de contrôler la CENI. Maintenant l’autre aspect que tous les journaux ont repris, c’est qu’on estime sur la composition des 10 membres qui sont présents, au moins 8 sont considérés comme appartenant au parti au pouvoir ou être sympathisants du parti au pouvoir. Jamais nous n’avons eu une telle composition. La CENI est non seulement réformée pour réduire le nombre de membres, mais elle est conçue et reconfigurée pour être une représentation unilatérale. Donc nous avons pour la première fois la possibilité qu’un organe soit composé des militants d’un seul parti et cet organe électoral là va organiser des élections. D’ailleurs, l’une des discussion que nous avions eu dans la reforme du code portait sur le bureau de vote ou pour la première fois il était dit que ce sera le président de la CENI qui désignerait les membres du bureau de vote, qui désignerait les accesseurs etc.. Nous avons refusé. Heureusement sur ces deux points le gouvernement est revenu aux anciennes rédactions.
Sur le dialogue, je viens de dire que cette tradition également, nous sommes en train de la perdre aujourd’hui. Toutes les fois que nous nous prononçons sur la question électorale, notre idée c’est de dire, qu’il faut que nous revenions discuter. Mais aujourd’hui dans la composition de l’Assemblée nationale , la forte prépondérance du parti au pouvoir fait qu’il se sent complètement à l’aise et dit bon, nous on n’a pas besoin d’un cadre de dialogue, on peut légiférer comme ont veut. D’ailleurs, l’une des dernières discussions que nous avons eu avant de quitter c’était de dire « tant que nous avons le nombre que nous avons à l’Assemblée, nous ne modifierons pas la loi électorale ». Nous avons dit que la loi électorale n’est pas une loi ordinaire, c’est une loi politique fondamentale.
Au Niger, nous nous plaignons sur le fait que jamais nous n’avons réussi à créer les conditions d’une alternance. Pacifique, la transmission pacifique du pouvoir d’un civil çà un autre civil. Et c’est maintenant que ça peut se passer. Maintenant que la constitution l’interdit ! Maintenant que le président de la République a dit lui même devant le monde entier qu’il ne se présentera pas. Nous avions écarté ces périls alors que dans certains pays, il y a cette tentation. Et maintenant que nous devons le faire nous devons avoir un processus honnête et vertueux. Or jamais nous n’avons eu un processus aussi compliqué.
Sur la question des médias d’État. Les médias d’État font partie de l’accord depuis 1998 qui fait qu’à l’époque l’opposition s’était plaint en disant que nous ne pouvions pas accepter que les médias soient confisqués. Cette question est une question fondamentale en démocratie parce qu’elle permet aux citoyens d’avoir accès aux médias et de dire leur point de vue. C’est pour cela que dans la constitution de 2010, on a fait des médias, des médias publics au service de la communauté. Donc qui permettent l’équité dans l’accès aux médias. C’était la première fois en 2010, en tenant compte de notre histoire et en considérant que tous les gouvernements qui se sont succédé au Niger ont fait un usage patrimonial des médias publics. Nous avons mis cette disposition dans la constitution Malheureusement, ça n’a pas servi à grande chose. Je pense que nous sommes à un niveau de confiscation des médias publics, un niveau très élevé. Toutes les fois que les partis politiques de l’opposition, les organisations de la société civile ou les citoyens qui ont des opinions contraires, ils se déportent sur les médias privés. Nous avions pensé en 2010 que nous avions introduit une disposition importante dans la Constitution qui permettait d’avoir cet accès là dans les médias publics. Et l’un des indicateurs de la démocratie, du contenu de la démocratie, c’est l’accès libre aux médias publics. Et au Niger c’est tellement important. Mais nous avons reculé. Je ne connais pas, on fait la politique depuis pas longtemps, mais je ne connais pas des épisodes de confiscation et de domination des médias publics comme celui que nous avons actuellement dans notre pays.
Malheureusement sur la question des libertés publiques vous savez que le gouvernement avait fait arrêter beaucoup d’acteurs de la société civile dans le cadre des manifestations civiques. Je suis heureux que la justice ait prononcé des non lieu. Ça veut dire qu’a posteriori , la justice a démenti toutes les prétentions du gouvernement et a délégitimé même l’argument qui était porté à l’époque. Je sais que le président de la République était même arrivé à faire même une catégorisation extraordinaire de la société civile pour dire qu’il considérait « qu’il y a le société civile démocratique et qu’il y a la société civile putschiste », qui participe au putsch , qui appelle au putsch et qui organise les putsch ! C’était cette société civile là qui avait été réprimée. La justice a considéré qu’il y a un non lieu.
Il y a aussi la confiscation de l’administration publique. C’est un des éléments qui me paraissent important en démocratie. L’administration publique est prévue, elle est envisagée comme étant un service public neutre au service de la communauté. La politisation a toujours été un phénomène qui a été combattu au Niger. Et là également en 2010, il y a eu une ordonnance qui dit « pour permettre au gouvernement d’avoir un comportement vertueux, nous allons catégoriser les postes pour dire que ça c’est de postes techniques, ça c’est des postes politiques. Au Niger, je ne pense pas qu’il peut exister un poste qui peut échapper à l’emprise politique du parti au pouvoir. Ça n’existe pas. C’est une tare commune à beaucoup de pays africains. Au Niger elle est très prononcée. Il n’y pas un petit espace public, il n’y a pas un espace privé qui peut échapper au parti au pouvoir. Ce n’est pas le mérite, ce n’est pas la compétence, ce n’est pas le fait d’être un citoyen nigérien qui vous permette d’accéder à ces postes, il faut forcément des affinités politiques avec le parti au pouvoir pour accéder à ces postes. C’est un recul par rapport à mon statut de citoyen, je dois avoir les mêmes droits que chaque citoyen, à partir du moment où je remplis les conditions qui le permettent. Mais en Afrique, dans la plupart des pays dans lesquels nous sommes, le label qui vous permet d’accéder à un poste, c’est l’affiliation au parti politique.
Souvent les engagements aux politiques publiques des citoyens sont conditionnés par cela. Vous avez parlé des commerçants qui financent le parti, c’est en espérant une rétribution de leur engagement politique. Et ça c’est une honte parce que ça remet en cause la citoyenneté. Toutes les fois que quelqu’un est engagé dans un concours ou un projet public, il se dit : il faut que j’aie quelqu’un qui puisse m’aider. Mais dans tout ça ou est la République ? Si on ne peut pas créer l’espérance pour que chacun croie qu’à partir de ses capacités et à partir de son statut de citoyen, il a les mêmes droits que les autres. Nous sommes en face d’un grand recul de valeurs et un grand recul de gouvernance.
Il y a le contrôle des collectivités territoriales :
La décentralisation est posée comme un principe de gestion de l’État. Le Niger en a fait une option fondamentale depuis plusieurs Constitutions. Malheureusement depuis 2011 nous n’avons pas été capables de faire des élections et de renouveler les mandats de conseillers. En même temps dans la logique des élections à venir, le pouvoir en place récupère toutes les collectivités qui ne lui sont pas favorables. Il y a un schéma systématique de confiscation des collectivités. Les conseils sont dissous et sont récupérés par le parti au pouvoir ; on a élaboré une liste électorale taillée sur mesure.
Il y a la question de la confusion entre le parti au pouvoir et les institutions de la République ;
La démocratie, elle n’existe que parce qu’il y a des institutions de la République, et qu’il y a des hommes qui lorsqu’ils arrivent au pouvoir ne perdent pas le sens des valeurs. C’est comme cela que la démocratie perdure ou c’est comme cela qu’elle se perd. Lorsque vous avez des institutions qui ont un contenu démocratique sérieux et que les hommes qui viennent au pouvoir ont un autre comportement, vous produisez la dégénérescence de la démocratie. L’une des faiblesses que nous avons, c’est la faiblesse des institutions démocratiques ; beaucoup ont oublié que le Niger a officiellement un régime semi présidentiel. Mais dans la réalité, celui qui porte le pouvoir n’est pas le Premier ministre, mais le président de la République.
Il y a la question de la justice :
Nous considérons que le lien, l’instrumentalisation sur le syndicat de la magistrature est très avéré. Je ne connais pas le nombre de déclaration du syndicat de magistrats pour se plaindre du souci et de préoccupations qu’ils ont par rapport à l’intervention du politique dans la justice. Or c’est considéré comme un pouvoir important pour l’équilibre des pouvoirs dans une démocratie.
Quant à l’Assemblée, je crois qu’elle n’est pas un contre pouvoir ; elle n’en a pas la capacité, elle n’est pas configurée comme cela. Elle est faite pour servir de caisse de résonnance au parti au pouvoir. C’est légitime que le parti le cherche. Le problème est qu’il n’y a pas de débat démocratique pertinent.
Vu de l’Europe, le Niger est une parfaite démocratie et l’opinion la plus répandue est : « ce sont des opposants frustrés, certainement que si ils étaient au pouvoir, ils ne diraient rien et feraient la même chose»
Donc il ne faudrait pas attendre que la communauté internationale change le rapport de force au Niger. Ce n’est d’ailleurs pas son rôle. La communauté internationale est composée de pays qui ont des intérêts précis. Ils n’agiront uniquement que par rapport à leurs intérêts. Il ne faudrait pas attendre un sursaut favorable que la communauté internationale créerait, pour que les citoyens s’en sortent, ce n’est pas vrai.
Ce qui est en jeu, c’est cette conception. C’est de dire qu’à partir du moment où le président de la République a dit qu’il ne se représenterait pas, c’est suffisant pour qu’il dise que c’est une démocratie ; les peuples africains ne sont pas suffisamment démocratiquement mûrs. S’ils trouvent un dirigeant qui est gentil, qui dit « non non à partir de 10 ans je ne me représente pas », c’est suffisant pour qu’on considère que tous les autres aspects d’une bonne gouvernance sont réunis et que vous avez une démocratie en place. Rien n’est plus faux que cela. Et le cas du Niger l’illustre suffisamment.
Vous prenez tous les indicateurs de la question de la liberté, de la question du processus électoral qui est mis en œuvre ; de la question de la gouvernance qui est en place, vous vous rendrez compte que nous n’avons pas une démocratie qui produit la liberté, qui produit l’espérance, qui produit simplement même la fierté d’être citoyen. Le projet démocratique n’a de sens que s’il repose sur des valeurs républicaines. Et la première, la plus importante qu’on ne peut pas arracher à un être humain, c’est qu’à partir du moment où je suis nigérien, j’ai les mêmes droits, les mêmes obligations, les mêmes espérances.
Parce que un des aspects de la démocratie en Afrique, c’est la répression contre les oppositions, l’opposition n’est pas envisagée comme un choix libre, consenti par quelqu’un pour dire qu’aujourd’hui je décide d’être à l’opposition. C’est considéré comme un crime de lèse-majesté.
J’ai peut-être été un peu long, mais je voudrais dire que la démocratie a un contenu, et dans notre pays, ce contenu est détruit progressivement. Ce n’est pas qu’il est détruit en un seul jour, mais l’inquiétude c’est qu’il se détruit progressivement.
La deuxième chose la plus importante, moi je ne crois pas au fait que la reproduction ou même la conservation du pouvoir soit une fin heureuse et vertueuse même pour ceux qui gagnent. Ce qui est heureux et vertueux, c’est de gagner dans un processus électoral honnête. Jamais notre pays n’a connu une telle situation.
Je vais vous dire, il y a eu beaucoup de difficultés, beaucoup de contestations par le passé notamment par le parti au pouvoir lui même. Mais la plus part du temps, il s’opposait à la composition de la CENI. Mais avoir un désaccord profond sur les dispositions même qui permettent d’aller aux élections c’est la première fois que nous l’avons.
Le défi que nous devons réaliser est l’alternance démocratique pacifique. Il ne peut se réaliser que lorsque nous aurons un président qui respecte la constitution intégralement. Donc il a dit qu’il ne se présenterait pas. Donc la Constitution lui dit aussi de se mettre au dessus du parti. Dès le serment, il a juré d’être le président de tous les Nigériens. Mais il a déclaré dans Jeune Afrique : « nous avons notre stratégie électorale pour notre candidat ». Or la Constitution l’a élevé, elle l’a sacralisée ; elle l’a placé au dessus de son parti ; elle lui a fait un honneur suprême.
Nous sommes face à une situation qui paraît préoccupante, et nous sommes demandeurs d’un vrai dialogue autour des valeurs de la démocratie. Le parti au pouvoir ne peut pas organiser les élections comme il l’entend. Ce n’est pas un plébiscite. Le parti au pouvoir ne peut pas sortir de l’histoire politique de notre pays qui a produit le consensus électoral. L’opposition n’est pas capable de faire elle même ses lois, ou d’avoir son propre code électoral. C’est ensemble que nous nous mettrons en œuvre ; nous produirons les lois électorales nécessaires.
En conclusion :
Il n’y a aucune partie du pays qui soit préservé des assauts terroristes ; il n’y en a pas, c’est eux qui décident quand ils vont attaquer, où ils vont attaquer, et comment ils vont le faire. Ils le font de jour, ils le font de nuit, ils le font sur toute l’étendue du territoire. Il y a beaucoup de portions du territoire qui ne sont plus sous le contrôle de l’Etat. Il y a des villages qui ont été abandonnés. C’est ça la préoccupation des citoyens. Ils veulent des réponses communes sur la question de la sécurité, des réponses communes sur la question de l’éducation et de la santé.
Or ce ne sont pas ces questions fondamentales qui agitent le pouvoir politique nigérien qui ne cherche qu’à se survivre à lui-même. C’est bien un recul en démocratie que vit actuellement notre pays : 60 ans après l’indépendance, nous continuons à parler de ces questions de transparence et de qualité du processus électoral qui devraient être réglées depuis longtemps. Alors que les vrais enjeux sont ailleurs, c’est la lutte contre la pauvreté, c’est la liquidation des secteurs sociaux, c’est de donner un contenu économique à la démocratie, c’est la question de la sécurité ; tous ces enjeux que le pouvoir actuel ignore, préférant bâtir des hôtels de luxe et des routes menant aux quartiers résidentiels pour une minorité affairiste de la population pendant que le peuple souffre et meurt.
Ibrahim Yacouba
discours retranscrit à partir des notes prises lors de la conférence