Dimanche 5 septembre 2021, le Comité National du Rassemblement et du Développement (CNRD) a annoncé l’arrestation du dictateur Alpha Condé, la dissolution de la « constitution » du 3ème mandat et de toutes les institutions issues du coup d’État constitutionnel imposé au peuple de Guinée suite à un simulacre d’élections le 22 mars 2020.
Le putsch est mené par le Groupement des forces spéciales, dirigé par le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya, un Malinké originaire de la région de Kankan comme Condé, ancien légionnaire de l’armée française, qui avait été rappelé en Guinée pour prendre la tête des forces spéciales en 2018. Ces forces spéciales auraient réprimé la mutinerie d’octobre 2020 à Kindia et seraient impliquées dans la répression des manifestations contre le troisième mandat. Le 1er juin dernier, le Président Condé a pris un décret créant une nouvelle unité des forces de sécurité, le Bataillon d’intervention rapide, pour les concurrencer et rééquilibrer le rapport de force. Des rumeurs ont même circulé quant à l’arrestation de Doumbouya. Il semble donc que Doumbouya ait d’abord agi pour se protéger, profitant de l’usure de la légitimité d’Alpha Condé. Les forces spéciales avaient pour mission officielle de lutter contre le terrorisme ; elles se sont finalement retournées contre leur créateur. On peut aussi penser que la vague de nomination par décret en janvier 2019 de moult généraux comme ambassadeurs, façon élégante de s’en débarrasser, vient de se retourner contre son initiateur.
Depuis des mois, ce pays d’Afrique de l’Ouest parmi les plus pauvres au monde malgré des ressources minières et hydrologiques considérables est en proie à une profonde crise politique et économique, aggravée par la pandémie de Covid-19. Plus de la moitié de la population de Guinée vit sous le seuil de pauvreté, avec moins d’un euro par jour, selon l’ONU. Et depuis que le gouvernement avait annoncé la hausse du prix du carburant début août (le litre était passé de 9 000 francs guinéens, soit environ 77 centimes d’euro, à 11 000 francs), le mécontentement montait.
L’Union africaine, la CEDEAO, le Quai d’Orsay ont réagi selon leur habitude en condamnant le putsch. Nous ne pleurerons pas sur le sort du dictateur : économie et société exsangues, opposants politiques muselés, corruption, népotisme et détournements massifs de fonds, l’omnipotence d’un homme, d’une famille, d’un clan étouffaient tout un peuple.
La malédiction du troisième mandat a fini par emporter l’opposant historique qui, après avoir incarné l’opposition courageuse et totale à un régime inique, a basculé, une fois au pouvoir à son tour, dans les mêmes dérives autoritaires. Seule la force pouvait faire plier Alpha Condé.
Nous nous contentons de prendre acte du reversement du dictateur tout en formulant des vœux pour qu’une période de transition permette au pays de trouver une solution démocratique inclusive. La proximité de Doumbouya avec un autre chef des forces spéciales, le colonel Assimi Goïta, qui a pris le pouvoir au Mali en août dernier, laisse espérer qu’il respectera sa promesse d’un « gouvernement d’union nationale » chargé de conduire une période de « transition » politique. Son parcours laisse aussi espérer qu’il n’aura ni le comportement ni le sort de Moussa Dadis Camara ce capitaine dangereux surtout, mentalement confus, à la tête d’une junte éphémère (décembre 2008-décembre 2009), plongea la Guinée dans un bain de sang avant de recevoir lui-même une balle dans la tête. La libération des prisonniers politiques dont d’Oumar Sylla, l’un des plus célèbres activistes guinéens, est un signe encourageant. Il conviendrait qu’Alpha Condé soit aussi libéré rapidement. Soyons optimistes : la société guinéenne est mûre pour reprendre le fil ténu de l’alternance démocratique.
Pierre Boutry